Manœuvre identitaires en voyage

La construction de l’identité est un processus complexe et constant. Entre ouverture et fermeture, stabilité et changement, il devient paradoxale de dire « j’ai une identité », puisque celle-ci est sans cesse bousculée et enrichie par les événements qui jalonnent notre parcours de vie.

 


         J’ouvrirais les festivités de ce blog par un court billet, qui se veut plus une introduction à de futurs approfondissements, puisque le thème est grand, bien trop grand pour être saisie d’une seule inspiration. Il s’agit de la question de l’identité, et plus particulièrement pour ce qui nous intéresse de l’identité et ses aléas dans le voyage ou l’expatriation.   


 Grand chantier que ce thème d’investigation ! En effet, l‘identité est un concept difficile à couvrir dans son ensemble. D’ailleurs en psychologie, on peut presque dire qu’il n’existe pas en tant que tel – ou du moins, pas tout seul ! Le concept d’identité ne prend en effet sens que lorsqu’on le relie à d’autres : on pourrait dire que l’identité est la surface sous laquelle fourmille une immensité d’autres processus et c’est d’ailleurs par là qu’on commencé les recherches sur la construction de la personnalité, notamment avec le rôle des identifications et des interactions sociales (Erikson, Goffman), les concepts d’incorporation-introjection-identification, la question de la séparation-individuation…  


 En psychanalyse, le concept d’identité n’a pas bonne presse. On lui préfère des concepts comme : Subjectivation ou Narcissisme. En effet, en psychanalyse, l’identité est jugé comme un concept renvoyant à une réalité stable et trop objectisante: nom, prénom… Et surtout : qui ne rend pas compte de l’aspect en mouvement de l’identité, ainsi que de ses liens avec les processus inconscients

 

L’identité pour les psychanalystes c’est avant tout un idéal : on vise cet état de plénitude où plus aucuns conflits ne vient nous perturber et on l’on sait avec certitude qui l’on est. Mais cet idéal d’identité est du côté de l’imaginaire : on le vise, mais on ne l’atteint pas. L’être humain est un être en constante construction, il n’est jamais « complet », il est constitutivement manquant.


Pour tout cela, nous saisirons ici l’identité comme processus, et non comme objet. On ne parlera donc pas d’avoir ou pas une identité, mais davantage des aléas de sa construction et de sa vie au fil du temps.

 

Qualité de ce qui est le même (de par son étymologie), l’identité change et évolue pourtant au grès des expériences. C’est le paradoxe même du concept d’identité : elle est ce qui est stable et pourtant variable, elle mêle le même et le différent

 

En effet, si on lui assimile les valeurs d’unité et de similitude (par exemple, j’ai conscience d’être la même personne d’une année à l’autre, voire d’une décennie à l’autre!), l’identité a pourtant partie liée avec la différence : l’identité se construit dans le conflit, que ce conflit soit interne (entre les différentes instances internes) ou externe (entre soi et les autres, entre soi et la réalité). Il s’agit donc d’un conflit productif :  

 

Par exemple :

 je me confronte à une autre vision du monde que la mienne 

—-> cela va à l’encontre de mes valeurs antérieures (conflit interne) 

—-> je ré-interprète la réalité en prenant en compte ces nouvelles données et me construit une vision du monde autre

=     j’ai évolué vers une nouvelle compréhension en prenant en compte un nouvel élément dans mon système de pensée.


 Et que n’y a-t-il de mieux qu’un voyage pour mettre tout ses sens en conflits : odeurs, langue, architecture, culture, alimentation, … En voyage, tout devient conflit ! Le Moi – pour parler en termes d’instances freudienne – est en constante adaptation et redéfinition face à l’environnement extérieur très riche en découvertes, en différences, bref, haut en couleurs !   
 

Ainsi, plus le voyage s’étale dans le temps et multiplie les changements (par exemple, un tour du monde), plus le Moi est confronté à de nouvelles perspectives génératrices de conflits qui, certes peuvent être des conflits productifs (c’est le côté enrichissant du voyage) mais qui peuvent se révéler également fatigants voire épuisants pour le psychisme en constante adaptation. On peut ainsi se sentir perdu, désorienté, et même développer des troubles plus invalidants (sentiment de vide, dépersonnalisation, dépression, …). Voyager c’est donc accepter d’être pris dans le chaos, accepter d’être bousculer dans son être et dans ses conceptions : mais en voyage, il est aussi question de savoir être indulgent envers soi-même, de reconnaître ses difficultés et de se ménager, et lorsque cela est nécessaire : de se faire aider.
 

Ce qu’on retiendra : 

– L’identité stable et cohérente est davantage un idéal que l’on vise 

– L’identité est en réalité  toujours en mouvement, toujours multiple, conflictuelle et contradictoire

– Le conflit peut-être producteur d’identité

– Mais la conflictualité prolongée ou trop intense peut épuiser le psychisme

“On ne fait pas un voyage. Le voyage nous fait et nous défait, il nous invente.”