Impacts narcissiques de l'expatriation

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C’est dans les premiers mois après le départ, notamment, que sont le mieux visibles ce qu’on pourrait appeler les impacts narcissiques de l’expatriation. 


 En effet, comme nous l’avons vu dans un précédent article, le voyage ou l’expatriation vient perturber la vie antérieur : la confrontation avec un nouvel environnement met à l’épreuve nos capacités d’adaptation, et notre identité est en tension. Ces conflits sont souvent source de stress, de malaise, de fatigue. Ils sont en général surmontés après un moment d’inconfort, mais peuvent aussi se pérenniser voire laisser apparaître des troubles psychiques plus importants, passagers ou non, lorsque le psychisme n’est pas en mesure (pour diverses raisons qui sont pour chacun singulières) de traiter les différentes informations et conflits. 


 Nous centrerons ici particulièrement notre développement sur l’expatriation, c’est-à-dire le départ vers un autre pays dans le but de s’y établir dans le temps.
 
 Nous l’avons vu, si la notion d’identité est peu utilisée en psychanalyse, on lui préfère souvent le concept de narcissisme. Toutefois, il serait vain de chercher à en faire des synonymes, ainsi nous nous attellerons pour introduire notre propos à proposer une définition non exhaustive du terme de narcissisme.   

 

 De la même manière que l’identité, le concept de narcissisme a été victime de son succès et sa popularisation l’a rendu très présent dans le langage courant et médiatique, si bien qu’il est aujourd’hui difficile d’en cerner les contours et d’en proposer une définition univoque.   


 Freud introduit le concept en théorisant une sexualité auto-adressée (autoérotique), et qui par la suite prendra l’assomption plus général de l’amour de soi. Le narcissisme est à la  base amené par Freud, on peut le définir comme une étape du développement dans lequel l’enfant se prend lui-même pour objet d’amour. Alors qu’il était, en tant que nourrisson, dans une dépendance et une indifférenciation à sa figure maternelle, le passage par le stade du narcissisme lui permet de se découvrir comme un autre différent, unique et digne d’amour. Ainsi selon la théorie de la libido, le Moi a besoin de s’investir lui-même (narcissisme) et d’investir des objets extérieurs. C’est ce qu’on peut appeler un narcissisme « normal », qui est essentiel dans la construction de l’identité chez le petit d’homme puisque la vie psychique commence par le narcissisme. 


 On l’a déjà entendu décliné sous diverses paroles « aime toi toi-même pour pouvoir aimer vraiment un autre » et bien cela vient tout droit de la théorie freudienne du narcissisme.  En effet, l’enfant a d’abord connu un narcissisme primaire, dans lequel sa libido était dirigé sur lui-même (autoérotisme), puis il va expérimenter l’investissement objectal, c’est-à-dire qu’il va dériver les pulsions auto-destinées vers des objets d’amour extérieurs : ce sera notamment l’amoureux/se, les amis, … A noter que résidera toujours quelque chose de narcissique même dans l’investissement externe, c’est alors ce que renvoie l’autre de ce que je suis qui est satisfaisant : l’Idéal du Moi prend la place du narcissisme primaire.
 
 Après ces développements psychanalytiques, revenons sur une réalité plus palpable :
 Que se passe-t-il alors dans les premiers temps de l’expatriation ?
 Une personne a quitté son environnement habituel, ses proches, ses amis, sa maison. Elle emménage dans un nouvel habitat : nouveau lieu, nouvelle manière de vivre, nouvelle langue, et la plupart du temps pas de cercle amicaux ou d’entraide.   


           Le départ est généralement ritualisé : annonce du départ, préparatifs, fête de départ, … Autant de moments qui viendront préparer la séparation. En effet, l‘expatriation induit pour le psychisme des moments de ruptures (au départ comme au retour) qui suscitent potentiellement des perturbations narcissiques (Drweski, 2016). On pourrait comparer ce processus du départ et des premiers moments de l’arrivée à un processus de deuil.   


 Mais quel est ici réellement l’objet du deuil ? Ce n’est pas celui de la personne en elle-même, mais peut être bien de la personne en tant qu’elle a été investie narcissiquement. En effet, tout au cours de notre vie, par une série d’identifications nous nous structurons un narcissisme solide, une identité : 


 Laplanche et Pontalis définissent l’identification comme le :  » processus psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre, et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série identifications. » 


 Ainsi il est possible d’envisager l’expatriation comme une succession de ruptures qui vont faire jouer au psychisme le travail fastidieux de séparation, séparation qui induit pour le sujet une perte narcissique dont il doit faire le deuil. 

 « S’aimer soi-même est le début d’une passion qui dure toute la vie. »