Série "Témoignages"

Mal-être adolescent en expatriation

Tranche de vie dans laquelle nous aborderons le mal-être adolescent et les difficultés du parcours de soin à l’étranger.

Témoignage anonyme recueilli lors d’un appel à témoignage au sujet de la santé mentale en expatriation : les prénoms, dates et lieux ont été modifiés.

« Je suis expatriée avec mon mari depuis plus de 7 ans aux États-Unis avec mes 3 enfants, Léo, Baptiste et Héloïse, de jeunes adolescents et je souhaiterais partager avec vous et anonymement une aventure malheureuse qui, parce qu’en expatriation, a été une expérience d’autant plus difficile. Le sujet est lourd, je dirais aussi tabou, mais justement parlons-en! 

 L’expatriation n’est pas uniquement une parenthèse heureuse et dorée, l’expatriation, c’est la vie, ailleurs, la vie tout simplement avec des émotions décuplées. 

 Lundi 29 avril 2019, vers 10h30, le téléphone sonne, je suis en voiture, j’hésite à répondre… je réponds, c’est un officier de police qui me demande si je suis la mère de Léo, je réponds oui, il me dit que Léo va bien, qu’il est à l’hôpital et qu’il a tenté de sauter d’un pont après s’être sauvé du lycée.   

 Un blanc, je me gare, je suis stupéfaite. Je respire fort, j’essaye de contrôler ma respiration. Je dois me présenter à l’hôpital. Le choc, les larmes, la panique… ai-je bien compris ce que le policier vient de me dire en anglais. Cinq ans que nous sommes aux États-Unis et même si mon anglais est bon, je doute. Conduire calmement jusqu’à l’hôpital. J’ai besoin de google map pour me rendre à l’hôpital, je ne peux donc pas répondre au téléphone qui n’arrête pas de sonner. 

 Dans le cas de Léo, des signes avant coureur étaient apparus les mois précédents et nous avions effectué les démarches nécessaires pour la guérison de Léo qui était atteint d’une dépression existentielle sévère. Psychologues, médecins, école en ligne à envisager, nous avons tout déployé, tout exploré dans une langue qui n’était pas la nôtre, dans un système que nous ne connaissions pas, nous avons eu peur, peur d’être des mauvais parents dans un pays qui n’était pas le nôtre. On s’est senti tout petit dans ce grand pays et la force de se battre et de tout comprendre a heureusement pris le dessus. Nous sommes des battants, nous sommes forts, We can do it! (L’affiche de propagande américaine de J. Howard Miller est accrochée sur notre frigo). C’est mon leitmotif. 

 Avant que Léo ne tente de se suicider, un psychologue nous avait propose de faire un test de QI (The Woodcock-Johnson), mais comment évaluer un enfants qui a vécu plus de la moitié de sa vie dans des pays étrangers (a 15 ans, il n’a vécu que 6 ans en France, quelques années en Australie et va en école américaine depuis 6 ans), comment savoir s’il va comprendre les subtilités de langue des différentes questions culturelles du QI, le test serait-il mieux en français, dans sa langue natale qu’il ne parle plus qu’a la maison? Comment accéder à un psychologue qui lui ferait passer le test en français en étant aux États-Unis? Que va valoir le résultat et que va-t-on faire de ce résultat? Autant de questions auxquelles personne n’a pu répondre.  

 Nous décidons alors de lui faire passer, Léo est volontaire et prend même beaucoup de plaisir à le faire. Les résultats tombent. 125. Le psychologue nous explique ce score et nous notons tout… les mots en anglais n’impriment pas bien notre mémoire depuis le début de cette histoire, alors on écrit tout ce qu’on nous dit et on relit encore et encore en essayant de comprendre les maux de Léo… 125, est-ce que c’est bien ou pas? Qu’est-ce que cela veut dire? Le psychologue nous dit aussi que Léo a refusé de faire certains exercices. Il nous donne des faits, des chiffres, du vocabulaire scientifique, des schémas, des courbes mais ça ne fait pas aller mieux Léo, les éléments d’aides sont maigres. C’est un constat. Superior, normative table, cluster, fluid reasoning… nous voici plongés dans les dictionnaires de psychologie à la recherche aussi de livres en français qui pourraient nous expliquer cela dans notre langue pour qu’on puisse se l’approprier…   

 Nous avons fait ce que les médecins nous on conseillé, Léo a quand même tenté de se suicider. L’État où nous vivons est très très religieux, nous ne sommes pas croyants. Impossible d’en parler avec n’importe qui car le suicide dans la religion catholique est condamné. La communauté française? Pas facile non plus, tout se raconte, se rapporte, se déforme, les jugements sont courants. Et si cela pouvait nuire au travail de mon mari? Nos parents sont loin, pas facile de raconter tout cela au téléphone, on a plus très envie non plus de faire du skype. On se retrouve un peu seul, évitant d’inviter du monde, on est concentré sur une seule chose: la guérison de Léo.  Sans oublier qu’il y a deux autres enfants qui ont aussi besoin de nous. 

 J’en reviens donc au jour de sa tentative. A l’hôpital avant même de voir Léo, il faut que je remplisse des papiers, l’officier de police me fait un compte rendu que je dois signer, il a un accent du sud terrible et j’ai du mal à le comprendre (il est toutefois adorable et je garderai contact avec lui par la suite, il a sauvé mon enfant), ma carte d’assurance ne fonctionne pas et on me demande d’engager les frais de son hospitalisation, coup de téléphone à l’assurance, tout s’arrange. On m’explique alors que puisque c’est un officier qui l’a amené à l’hôpital, nous parents, nous n’avons plus de pouvoir de décision, c’est le médecin qui va décider de le placer dans une institution médicalisée qui peut se situer n’importe où dans l’état où nous vivons. On se sent alors dépossédé de tout, de nos droits, de notre enfant, de notre parentalité, je crois que nous ne nous sommes jamais senti aussi étranger – étranger et exclu –  dans ce beau pays ou nous sommes expatriés. Et on se pose alors la question: a-t-on bien fait de partir en expatriation? On ne s’était jamais posé cette question avant, on doute. Avons-nous pris en compte les besoins et désirs de nos enfants? Finalement, c’est nous parents qui prenons les décisions et qui donc imposons notre mode de vie… est-ce que la dépression de Léo a-t-elle seulement un rapport avec notre expatriation? Comment pourrions nous le savoir? Pourquoi aussi se poser la question? Apparemment 2,9 % des jeunes de 17 ans ont déclaré avoir déjà fait une tentative de suicide en France. Ça arrive partout et dans n’importe quel milieu, on n’en parle pas. Alors imaginez-vous être en expatriation et avoir un enfant suicidaire… l’expatriation, aux yeux de la plupart et donc aussi aux yeux de la famille restée en France, c’est le paradis, vous n’avez pas de problèmes d’argent, vous n’êtes jamais malade, vos enfants sont des anges et il fait toujours beau. La dernière affirmation est toutefois vraie. 

 Léo est alors placé dans un centre de soin, que finalement nous avons pu choisir et qui est à côté de chez nous, nous sommes autorisés à le voir 3 heures par semaine. Il suit des thérapies de groupe, voit un psychiatre et un psychologue, il suit aussi un traitement médicamenteux.   La prise en charge me parait dérisoire et en temps que parents nous n’avons que très peu de retour, nous nous battons pour obtenir des informations auprès du psychiatre, c’est difficile. « Le psychiatre ne parle jamais directement aux parents » nous dit-on. On nous répond souvent qu’ici on est aux États-Unis, que c’est comme ça que ça se passe, on implique pas les parents, pas tout de suite, pas temps finalement qu’on ne sache pas si vous êtes des bons ou des mauvais parents. C’est déjà dur d’être juge mais encore plus dur d’être jugé par des gens qui n’ont pas la même culture que nous. Nous avons le terrible sentiment de ne pas être compris au plus profond de notre âme, nous nous sentons désorientés. Ce n’est finalement même pas la langue qui fait barrière mais vraiment notre culture et notre rapport à la vie et à la famille. 

 Il s’en suivra plusieurs séjours en institutions, des cours à domicile pour finir son avant-dernière année de High School, puis l’École online pour sa dernière année. Léo a obtenu son High School Diploma au mois de juin de cette année, un soulagement pour nous et il a été accepté dans une université pour un Bachelor online qu’il vient de débuter récemment.   Charlie, un chien adopté a Humane Society et recommandé par le médecin de Léo comme support moral, ne le quitte plus. Il a été et est toujours d’un soutien indéfectible. 

 Voilà mon témoignage, j’aurais pu encore parler des relations difficiles avec la famille en France, du rapport avec le médecin de Léo et du bouleversement au sein du cocon familiale, de la facilité de donner des médicaments, du tarif exorbitant des soins aux Etats-Unis, du poids que les mères américaines portent sur les épaules…   

 La vie continue et la vie est belle malgré tout.  Léo est toujours fragile, il se projette dans l’avenir, c’est ce qui compte pour l’instant. Peu importe où nous sommes, nous sommes ensemble et unis et nous ne voulons pas rentrer en France pour autant, l’expatriation, on la continue et on en profite encore, nous nous sentons chez nous ici, plus que jamais. »