Dossier

Thérapie par le voyage

 Éloge du voyage à l’usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez

 

L’histoire inspirante de Josef Schovanec

« Le voyage, comme le dirait Théodore Monod, est un lent professeur. Et ce lent professeur, qu'a-t-il à nous dire ? Que lorsque les barrières auront été levées, restera ce que nous avons de commun, [...] notre humanité »

Le voyage est-il une forme de thérapie ?

Le voyage a-t-il des vertus thérapeutiques, et si oui, quelles sont-elles et comment en profiter au mieux ?

Nombre de voyageurs préparent leur valise après un événement de vie difficile : une dépression, une rupture, le décès d’un proche, l’annonce d’une maladie, peuvent les déclencheurs du départ. Les causes d’un mal-être moins palpables peuvent aussi entrer en jeu dans le choix du départ : routine, perte de motivation, tristesse, ennuie, perte du sens de sa vie, anxiété … Fuite, élan irrépressible, l’ailleurs fait alors miroiter la possibilité d’un renouveau : car le voyage ne peut que nous bouleverser, nous cherchons dans le voyage à être ému, transformé, et le voyage s’apparente souvent à une quête identitaire.

Le voyage comme thérapie n’est pas une nouvelle découverte, dès le 17ème siècle le voyage est prescrit comme traitement notamment pour la mélancolie. On le retrouve également dans les déplacements recommandés pour soigner les maladies, physiques ou psychiques : voyages vers les cures thermales, voyage à la mer ou la montagne pour profiter de l’eau pur. Le voyage s’inscrit donc dans une longue tradition thérapeutique.

Pour introduire notre dossier thématique spécial « La thérapie du voyage » nous commençons par une histoire, celle de Josef Schovanec.

Pour Josef Schovanec, l’auteur du livre « Eloge du voyage à l’usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez » le voyage n’a pas été une évidence : déjà, parce qu’il n’y était pas destiné. Aujourd’hui grand voyageur invétéré, auteur de plusieurs ouvrages sur le voyage, polyglotte et amoureux des cultures, Josef Schovanec se fait professeur des ouvertures et thérapeutiques du voyage, laissons-nous alors enseigner…

La thérapie par le voyage, l'expérience de Josef Schovanec

L’occasion pour nous d’apporter une première réponse à notre interrogation : pour Josef Schovanec, aucun doute : Le voyage est une thérapie, et il devrait être prescrit à tous les autistes et ceux qui ne le sont pas (assez). Découvrons à travers une courte vidéo de la conférence TEDx sur le voyage les propos inspirants et plein d’humour de ce voyageur humaniste et militant. Ce sera effectivement l’occasion de parler de l’autisme et de réfléchir à l’inclusion des personnes avec handicap, physique ou mental, dans notre société. 

La thérapie par le voyage d'une personne avec autisme,
l'histoire inspirante de Josef Schovanec

Voyage et maladie mentale : qui sont les exclus du voyage ?

Aujourd’hui, en France et dans le monde, tout le monde ne peut pas voyager et en particulier lorsque l’on est porteur d’un handicap. Chez les familles dont un enfant est porteur d’autisme, par exemple, il est malheureusement classique de s’entendre refuser la participation de son enfant à un voyage scolaire : car oui, dans l’esprit populaire : une personne avec autisme, ça ne voyage pas – pire : ça ne doit pas voyager. 

«Il y a encore quelques années pour moi le grand voyage c’était de parcourir 3 stations en bus ». (Josef Schovanec)

 « et puis je ne vous parle pas des périodes sous camisole chimique »

L’histoire de Josef Schovanec commence par l’exclusion, une exclusion dont son victimes grands nombres de personnes qui présentent un handicap, qu’il soit physique ou mental : Josef Schovanec est une personne atteinte d’autisme (il souligne avec justesse l’important de parler de « personne avec » plutôt que d’un « autiste », car une personne handicapée, un « autiste », c’est avant tout une personne), il est atteint du syndrome d’Asperger, mais a été diagnostiqué tardivement, on le pensait schizophrène jusqu’à ses 22 ans, âge jusqu’auquel il a reçu un traitement médicamenteux l’amenant à l’impossibilité de vivre dignement.

L’autisme peut être défini comme un trouble neuro-dévelopemental qui affecte les relations interpersonnelles. On différencie l’autisme dit “typique” au spectre plus large qu’est celui du Trouble du spectre de l’autisme (TSA) dont les manifestations sont diverses, et pour chaque personne très singulières. Ces manifestations apparaissent dès l’enfance et jusqu’à l’âge adulte. Chaque personne porteuse d’autisme est différente, mais l’on peut retrouver fréquemment : des altérations dans la capacité à établir et maintenir des interactions sociales et dans la communication, une réticence au changement ou encore une tendance à la répétition de certains comportements ou discours. En France, ce sont environ 700 000 personnes qui sont concernées (Source : Inserm, 2018).

Pourtant, voyager lorsque l’on est porteur d’une maladie mentale, c’est possible : cela demande de l’organisation, il faut y être préparé et peut-être parfois suivi (ou tout du moins, parler de ce projet avec son psychologue ou psychiatre), et avec une bonne connaissance de soi et quelques contacts utiles les bienfaits seront également de la partie.

Dans un prochain article, je vous parlerai spécifiquement du voyage et de la maladie mentale en pratique : un petit guide des adresses et numéros à connaître et de la bonne manière d’entamer un voyage. Continuons pour l’instant sur le voyage thérapeutique…

Le voyage didactique : apprentissage du monde, connaissance de soi

« Lever les barrières de la zone de confort qui restreint nos déplacements à juste notre univers connu ; les barrières de l'illusion de la satisfaction immédiate du  désir et des envies ponctuelles. Le voyage n'est pas là pour satisfaire les envies immédiates, le voyage est là pour les transformer, pour nous transformer. »

 

Pour Joseph Schovanec, si le voyage est une thérapie, c’est parce qu’il permet un apprentissage sur le monde comme sur soi-même. Rencontrer l’autre et mieux se connaître, ce sont les promesses d’un voyage qui recouvre alors un aspect existentiel.

« Le voyage ne vaut que s’il contient un risque au cœur de l’être »

 « le voyage est un apprentissage, il faut se sentir un peu mal à l’aise avant le voyage »

Sortir de sa zone de confort, comme le dit l’expression à la mode, et lever les « barrières de l’illusion, de la satisfaction immédiate du désir et des envies ponctuelles. ». Cela veut dire sortir des habitudes et des modes de pensées habituels largement guidés par les prescriptions sociétales.

Sortir de soi-même, aussi, et se libérer des injonctions de ce petit juge intérieur, héritier du Surmoi, pour prendre de la distance sur nos vies et nos choix, et surtout : apprendre à reconnaître son désir.

 

 

Voyage et désir : désirer, autrement

Voyager, c’est en effet apprendre à désirer autrement, apprendre à reconnaitre son désir.

Au contraire des « destinations plaisirs », on ne consomme pas le voyage. Le vrai voyage, c’est un processus, une expérience, qui touche le coeur de l’être. 

Le voyage dénude : en voyage, on perd nos apparats, nos étiquettes, et c’est tant mieux. Josef Schovanec, lui, en voyage n’est plus autiste : c’est un touriste, « juste » un touriste. Le voyage permet en effet de renoncer à ses ancrages et assignations identitaires (choisis ou subis) pour en retrouver de nouveaux, tel le serpent qui perd sa peau pour en arborer une nouvelle. Ce renoncement, cette perte qu’implique le voyage (car il s’origine toujours par un départ) est nécessaire à la découverte de l’autre en soi, et à la vérité de son désir. 

Le désir est en effet mis à l’épreuve, en voyage. Les personnes qui voyagent seules le savent bien : le choix est partout et il peut devenir omniprésent, inquiétant, oppressant. Il s’agit déjà de choisir la destination, ici oui, mais pourquoi ? Puis s’enchainent tous les choix des plus cruciaux aux plus banals : que vais-je manger (et même qu’est-ce que j’aime manger ?), ou vais-je dormir, qu’est-ce que je désire faire de cette journée ? 

Le voyage est de ce fait plus qu’une expérience de déplacement : il est une expérience profonde, subjective, et met en jeu le désir. Ce désir moteur et créateur de pulsion de vie qui s’oppose à la jouissance mortifère que nous impose le capitalisme.

Non, on ne consomme décidément pas un voyage – ou alors, on ne sait pas bien voyager.

 

« Le véritable voyage, ce n'est pas de parcourir le désert ou de franchir de grandes distances sous-marines,
c'est de parvenir en un point exceptionnel où la saveur de l'instant
baigne tous les contours de la vie intérieure. »